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Participer à la création d’un opéra est toujours, pour un réalisateur en informatique musicale (en tout cas pour moi), une expérience exceptionnelle. En effet, la réalisation de l'informatique musicale d'un ouvrage lyrique (si on la compare à la réalisation d'une oeuvre pour instrument soliste et electronique, par ex.) présente des caractéristiques très particulières :  des contraintes fortes mais aussi des moyens de diffusions, et des moyens tout court, très importants.


Une expérience de production d’opéra implique une pluridisciplinarité, le réalisateur n’interagit plus seulement compositeur, cette relation est demultipliée entre les différents créateurs impliqués dans le projet, le metteur en scène, la scénographie, les costumes , la vidéo, les chanteurs, etc.
Ce n’est pas forcément dans la réalisation d’un opera qu’on va pouvoir prendre le plus de risques ou expérimenter des techniques très innovantes, étant donné toutes les contraintes, il faut souvent aller au plus efficace. Mais c’est une expérience extrêmement gratifiant lorsque la partie électroacoustique fonctionne en synergie avec les autres composantes de cette forme d'”art total” qu'est l'opéra.



Quartett


Quartett de Luca Francesconi, commande de la Scala de Milan, est la première incursion de l’Ircam dans cette salle prestigieuse. L’œuvre y a été donnée six fois, entre le 26 avril et le 7 mai 2011, avec un grand succés. Elle a été reprise au Wiener Festwochen en mai 2012. On pourra l’entendre à Paris le 19 mars prochain à la Cité de la Musique (en version concert). Dans les saisons à venir, ce spectacle va circuler en Europe à l’occasion de reprises à Porto, Amsterdam, Lille, Londres ...


La pièce de Heiner Müller est un duo, dans l’opéra les deux protagonistes sont seuls en scène pendant toute la durée du spectacle (1h20), un long duo entre une soprano et un baryton. Mais c’est aussi un quatuor, puisqu’ils échangent leur rôles, se travestissent l’un en l’autre, jouent d’autres personnages. Un opéra c’est de la musique et du théatre, où les acteurs jouent des personnages qui simulent. Incarnation de la voix lyrique. La spectaculaire mise en scène de la Fura dels Baus est en totale adéquation avec le sujet.


La collaboration avec l’Ircam a commencé fin mars 2010, c’est à dire un peu plus d’un an avant la création. il a été realisé et composé en un temps assez court (un an entre le premier contact et les premieres repetitions: mars2010/mars2011).
Cette période de préparation fut consacrée à l’élaboration d’une maquette informatique de la grande forme de l’opera et à la préparation des sons et de l’environnement informatique de mise en espace. Essayons d’extraire les spécificités de l’apport de l’Ircam dans Quartet, afin de comprendre la fonction dramaturgique de l’électroacoustique.
La première intervention est pré-compositionnelle. Comme la plupart des compositeurs de sa génération, Luca Francesconi utilise l’outil informatique dans sa pratique quotidienne. La première incarnation de l’œuvre a pris la forme d’une maquette informatique représentant le déploiement temporel de la grande forme.



transformations vocales des personnages


Pendant l’élaboration de sa partition, nous avons eu des échanges concernant surtout les recherches et développement actuels de l’équipe Analyse/Synthèse (en particulier avec Pierre Lanchantin) sur le sujet de l’analyse de qualités vocales particulière et de la segmentation permettant la sélection des éléments porteurs de l’expressivité dans le flux vocal.
Merteuil et Valmont jouent un jeu extrême, à la fois raffiné et barbare, et d’une grande complexité. L’écriture vocale des deux chanteurs fait appel a des caractérisations vocales rhétoriques pour illustrer les différents rôles qu’ils ne cessent de s’échanger. Ces caractérisations font appel d’une part, d’une façon distanciée, à toute l’histoire de l’opéra et d’autre part, aux techniques de transformation de la voix en temps réel, chaque personnage étant associé non seulement à un traitement vocal particulier mais aussi à un type de transformation différent.
Les personnages incarnés par les chanteurs sont représentés par des transformations vocales caractéristiques réalisé avec des filtrages, transposition et synthèse croisés grâce à SuperVP pour Max, (presets “sex swap”, “macho”, “monster”, “soffiatti”, “childish”, “blush”, “monster”, “merteuil”, ...)
Quartett est un opéra de répertoire qui intégre les recherches actuelles sur l’expressivité de la voix et ses transformations en temps réel.

effets sonores


Les deux chanteurs de Quartett sont accompagnés d’un instrumentarium constitué d’un choeur de 80 chanteurs, deux orchestres et des sons electroniques. Ces derniers ont été selectionnés et transformés à partir de sons synthétiques ou concrets.

spatialisation


Un ensemble est dans la fosse tandis que la formation symphonique et le choeur (dont le son est capté et diffusé sur les haut-parleurs), sont dans une autre salle. Les deux orchestres représentent les espaces dans lesquels évoluent les personnages : un espace claustrophobique (Luca parle de “peep-show”) et le monde extérieur (“out”). Cela permet des effets de perspective et de travelling. La fonction de l’électroacoustique dans cet opéra n’est pas illustrative mais en adéquation avec le sujet. Le Spat permet de créer les deux environnements acoustiques distincts correspondant aux deux orchestres.
Plus précisement, 5 plans sonores distincts ont été definis, correspondant a des situations dramatiques determinés:
“scène” : voix sur scène, naturel
“close” : concertino + effet claustrophobique, assez sec
“close-marionnettes” : comme “close” avec des mouvements mecanique/rythmique
“dream” : “outside”, effet de grande distance, frontal, grand orchestre au lointain
“out” : orchestre dans le lointain, mouvement traversant la salle d’avant en arrière, “au dessus des spectateurs”


La spatialisation n’est pas utilisée ici, comme c’est souvent le cas, pour placer ou déplacer des sources dans l’espace, mais bien pour illustrer cet enchâssement d’espaces dans lesquels évoluent les personnages : une boîte, sur la scène d’un opéra, d’une ville, du monde. C’est l’artifice essentiel, l’artifice de toujours, du spectacle d’opéra associant des moyens théatraux, cinématographiques et musicaux pour représenter sur une scène des émotions et des situations universelles.

enregistrement et synchronisation de l’orchestre “OUT”


Pour la version de la creation à Milan, le grand orchestre et le choeur, qui jouaient dans une autre salle ont été enregistrés. Pour les reprises du spectacle, cet enregistrement a été remixé, édité et synchronisé avec un clictrack afin que le chef d’orchestre puisse coordonner l’orchestre dans la fosse avec ces séquences préenregistrées.

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